Mon moment à la tête rasée
- hoangyenanne
- Oct 15, 2022
- 3 min read
Updated: Mar 25
J’ai grandi avec une grande sœur qui a eu cinq cancers différents. Pendant 18 ans, la vie a été une porte tournante de déjà vu: rémission, célébration, rechute, rémission, célébration, rechute. J’ai été celle qui a eu une santé de fer, la chance d’aller au CÉGEP, à l’université, d’aller danser, de me faire des meilleurs amis en dehors de Manon l’infirmière de l’hôpital et des voisins de lit d'hôpital qui vivaient aussi à travers les mêmes portes tournantes.
J’ai aussi été celle qui a eu les cheveux et le teint qui viennent avec la santé. Ma soeur a toujours maudit mes cheveux. Peu importe quelles conversations nous avions, elles finissaient souvent par: de toute façon, tu ne comprendras jamais, tu as des cheveux toi. Cette révolte envers mes cheveux, je la comprenais très bien. C’était symbolique. C’est ce qui arrive lorsque tu es malade à 16 ans, au lieu de vivre enfin tout ce que tu t’étais promis de vivre. Et si ma sœur avait pu prendre mon empathie et mes cheveux; les jeter dans un feu de camp, elle l’aurait fait avec joie, tout ça en me souhaitant de l’acné sur le nez.
Sa frustration me rassurait. Ça voulait juste dire qu’elle était encore elle-même, elle avait encore la fougue, que les symptômes de l’adolescentisme demeuraient plus forts que les autres. Parce que c’est ça aussi qui arrive quand tu as 13 ans et que ta grande sœur qui avait déjà le pire caractère au monde (selon toi) tombe malade. Tu apprends beaucoup (beaucoup!) des essais et erreurs, de l’amertume de se sentir complètement impuissant face au trop puissant cancer et ses effets, un mauvais dosage de pitié dans les yeux, un «je te comprends» de trop qui fait juste augmenter la nausée post-chimio, se faire prendre à cacher une joie c’est aussi pire qu’être au cœur d’un tsunami.
Nous étions deux adolescentes traversant la vie avec la génétique polarisante que nous avions reçue.
Après une habituelle conversation qui a fini avec «de toute façon, tu ne comprendras jamais, tu as des cheveux toi». J’ai dit: c’est vrai que je ne comprendrai jamais, mais je vais au moins essayer de comprendre un peu plus. J’ai pris un rasoir et oui… j’ai dénudé mon coco.
Pendant que je faisais tomber mes mèches une à une; j’ai ressenti une nouvelle sorte de calme qui prenait place. Un calme puissant qui te murmure à l’oreille qu’il y a des petites batailles inattendues qui valent la peine de tes peines. Et que tu ne peux qu’agir ce sur quoi tu as le contrôle.
Lorsque je suis sortie de la salle de bain j’avais mis une tuque pour surprendre ma sœur. Et là, avec fierté, j’ai fait «Tadam!» en l’enlevant.
Il fallait que notre mère arrive au même moment. D’ailleurs, c’est comme ça que j’ai appris que les cheveux, dans ma culture, c'est très important, car ma mère, aux larmes toujours un peu théâtrales, a fondu en sanglots.
Ma soeur et moi, nous nous sommes regardés et …nous avons éclaté de rire!
Et de partager un rire comme ça, c’est ce dont je me souviens le plus clairement de cette époque.

Ça fait quelques semaines que je vis un moment «tête rasée». C'est-à-dire que je me sens largement plus impuissante que les puissants mais que je sais que la vie offre toujours des batailles inattendues à gagner.
Ce matin, une fleur miniature s’est pointée le bout du nez. Une fleur complètement inattendue car elle vient d’une plante morte que j’ai tenté de sauver il y a presque un an et demi. Un an et demi à tailler délicatement, à arroser, à surveiller et à me convaincre que «ça va fonctionner!».
Et de voir cette fleur apparaître comme ça, c’est ce dont je me souviendrai le plus clairement de cette période.
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